Les contrariétés défilent parfois les unes après les autres et nos frustrations s’accumulent. L’approche de Virginia Satir, et plus particulièrement son concept d’« attentes » (expectations) peut nous aider à reprendre pied et espoir.
Un ami tombe malade et avertit au dernier moment qu’il ne viendra pas au rendez-vous qu’on s’était fixé. Un train est annulé suite à un incident mécanique. Le restaurant n’a plus un dessert favori. La neige se met à tomber brutalement. Parfois – parfois seulement ? – les plans ne se déroulent pas comme prévu. Rien de surprenant, au premier abord. Et pourtant…
De manière surprenante, on ne réagit pas de la même manière à tous les changements de plans.
Il se met à neiger brutalement. Pierre sait que les transports vont être bloqués et que tout va prendre du retard. Il ressent pourtant un vif enthousiasme, comme un courant d’air frais qui lui annonce que l’aventure est au coin de la rue. Ses sens sont en éveil. Il se sent plus… vivant. Son train est annulé suite à un incident mécanique et à l’inverse il ressent une profonde frustration. Il voit la situation comme injuste. Sa poitrine et son estomac se contracte. Il a envie de repousser cette expérience déplaisante, imposer du contrôle sur une situation qui semble lui échapper. Tout perd de sa saveur, il a l’impression de ne plus rien comprendre, d’être profondément impuissant.
De manière tout aussi étonnante, on ne réagit pas toutes et tous de la même manière à un même changement de plan. Pour Piotr, au contraire de Pierre, la neige l’abat et lui donne envie de se rouler en boule dans un coin – et l’annulation de train l’amène (d’une manière qui le surprend lui-même) à vouloir davantage aider les autres, prendre la situation avec humour et engager la conversation avec ses compagnons d’infortune.
Tout se passe comme si, à force d’habitude, on s’attendait à ce que les choses se passent d’une certaine manière et l’on vit de manière désagréable ce qui ne se passe pas comme ça devrait se passer. On confond la réalité du présent avec une mémoire du passé, le désir d’un autre présent ou la peur d’un futur. Cette réalité n’est désagréable que parce qu’elle déçoit nos attentes. Et parce que nous avons toutes et tous un passé qui nous est propre, nous avons tous des mémoires, des désirs et des peurs différentes. Des attentes différentes.
Virginia Satir propose de distinguer trois catégories d’attentes :
Les premières attentes peuvent être déçues quand les autres n’agissent pas comme je le souhaiterais, les secondes quand ma perception de moi-même et de mon comportement diffère de la manière dont je m’imagine, les troisièmes quand on n’arrive pas à honorer une règle qui nous est imposée.
Les attentes semblent aller de soi, comme une évidence, comme une réalité qui s’impose… mais est-ce vraiment le cas ? D’où viennent ces attentes qu’on peut sentir en soi, à chaque fois qu’une crispation survient ?
Une attente déçue est comme la superposition d’une « vraie réalité » – un événement – à une « réalité souhaitée » – un désir, une certitude, une habitude. C’est comme une fracture entre un monde qui change et un autre qu’on aurait préféré maintenir dans un état imaginé. Cette fracture, pour peu qu’on ne la comprenne pas pour ce qu’elle est – la manifestation d’une différence entre ce qui est et ce qu’on imagine être – est vécue comme violente, insultante, incapacitante. On se sent à la fois impuissant·e et en colère, comme un enfant peut être en colère contre la mer qui vient détruire le chateau de sable qu’il a mis tant de temps à construire. On se sent dans son droit d’exiger de la réalité qu’elle change, et si elle ne change pas, c’est qu’elle résiste la bougresse, c’est qu’elle n’a pas compris qui était aux commandes, qui devrait être aux commandes. Et buté·e comme un enfant sûr de lui, qui n’a pas eu ce qu’il aurait dû avoir et qui n’est pas vraiment en position d’exiger quoi que ce soit, on utilise tous les subterfuges et manipulations possibles pour obtenir ce qu’on veut. Sait-on apprécier toute la créativité, l’ingéniosité et le courage dont on fait preuve pour changer dans un combat perdu d’avance le cours de la réalité ? Sait-on apprécier toute la patience, tout l’amour de cette réalité qui cherche à nous faire comprendre quelque chose de fondamental sur ce que c’est, être ?
Et au fond de la nuit, au milieu du tunnel, là où tout peut ressembler à un échec, peut-on entrevoir une lueur d’espoir, celle qui offre un autre point de vue sur les attentes et leur fonction ? Peut-on envisager qu’une attente, en particulier une attente déçue, n’est pas là pour justifier nos actes à partir d’histoires qui n’appartiennent qu’à nous – mais est là pour guider notre regard, pointer vers ce qu’on veut vraiment : ce qu’on veut être et non avoir ? Être aimé·e. Être accueilli·e. Être vu·e. Être reconnu·e. Être dans ce monde, et danser avec lui. Peut-on imaginer un autre possible, celui où on pourrait être, tout simplement, indépendamment de l’assouvissement de nos attentes ?
Se voir.
Se connaître.
S’accueillir.
S’aimer.
Être dans ce monde,
et danser avec lui sa plus belle danse.