La première rencontre est polie. Prudente. Dans la retenue. Les participant·es se regardent, se jaugent, essaient de comprendre quelle est leur place. Une certaine nervosité aussi. Est-ce bien pour moi, cette formation ? En est-ce bien une ? Y a-t-il un programme, des objectifs, des intentions, une feuille de route ?
Nous remarquons déjà que certain·es participant·es sont plus extraverti·es que d’autres, se confient plus, occupent davantage l’espace. Il y a celles et ceux qui ont déjà suivi une thérapie ou participé à des groupes de partage. Celles et ceux qui sont coaches professionnel·les. Celles et ceux qui n’ont aucune idée d’où illes mettent les pieds. Est-ce bien pour moi, cette formation ? Qui sont ces autres avec moi ? C’est la première rencontre et nous savons déjà que ça ne va pas se passer comme prévu. Il y a ce qu’on espère, ce qu’on imagine, et il y a ce qui va arriver, qu’on ne connaît pas encore. Ça ne va pas se passer comme prévu, ou plutôt – ce qui est prévisible, c’est que ça va se révéler au fur et à mesure, de manière inattendue, malgré tous nos plans. De manière inattendue, et pourtant à propos. Nous sommes là pour fournir une structure, une envie, un projet de plan de route. Pour tenir suffisamment l’espace le temps que les participant·es apprennent à se l’approprier.
Alors nous commençons doucement, patiemment. Transmettre un vocabulaire, une trame d’observation, un langage pour décrire ce qui se passe en dedans et comment ça se répercute sur le comportement en dehors. Encourager une autre manière de parler de soi. Petit à petit, au fil des sessions, la confiance s’installe dans le groupe. Les discussions deviennent plus posées. Le ton plus calme. Une plus grande place est laissée à l’écoute de l’autre, à la curiosité. Chacun·e décide du niveau d’intimité qu’ille veut partager. Il n’y a aucune obligation : on est là pour apprendre à expérimenter son autonomie, sa capacité à choisir, à décider ce qui convient pour soi. Là est peut-être la caractéristique principale – et la grande valeur – des ateliers Satir que nous animons : offrir l’occasion de vivre la construction d’un groupe d’individus, qui se rencontre sur une envie commune d’en apprendre davantage sur soi, et qui s’épanouit dans la découverte et l’accueil des différences chez les autres. Un groupe d’individus qui n’est pas là pour se soigner, car personne n’est malade – « you’re already ok » disait Virginia Satir – mais pour s’entraider à dépasser ses propres obstacles.
Virginia Satir est une thérapeute américaine de la deuxième moitié du vingtième siècle. Elle a développé divers processus pour aider à se comprendre soi-même, les autres, et le monde dans lequel nous évoluons. Son approche repose sur le développement personnel, la communication congruente et l’intention d’aider du mieux possible chacun·e à devenir « encore plus humain·e » (« more fully human »). Tout ça est bien beau mais « thérapie », c’est un mot qui inquiète. Suivre une thérapie, ce serait admettre que quelque chose ne va pas. Qu’on ne serait pas aussi bien qu’on devrait l’être. Qu’il y aurait quelque chose à régler. (« Est-ce bien pour moi, cette formation ? ») Alors laissons la thérapie de côté. Parlons plutôt d’éducation – d’apprendre à regarder les choses, les êtres, soi, le monde… différemment. De manière plus large, plus complète. Et en prenant conscience d’une multitude de possibilités là où l’on voyait avant une fatalité, en ressentant le bonheur de pouvoir enfin choisir ce qui nous convient mieux, ce qui nous convient le mieux.
Alors nous avançons patiemment, doucement, avec respect. Quand les autres t’invitent chez eux dans leur intimité, la moindre des choses c’est de t’essuyer les pieds sur le paillasson avant de rentrer. Dans un atelier Satir, nous ne sommes pas des thérapeutes – là pour guérir – mais des guides – là pour assurer au groupe la bienveillance et la sécurité nécessaires à une exploration de sujets plus ou moins connus, plus ou moins simples, plus ou moins intimidants. Bien sûr, nous avons des outils à transmettre, des modèles pour alimenter les réflexions, et nous le faisons – par le biais d’exercices inventés pour créer un langage facile à s’approprier. Mais l’essentiel est ailleurs, dans le déroulé d’un processus plus large, où chacun·e peut prendre conscience de ce qu’ille veut et de comment l’obtenir. Du sentiment grisant qu’il y a à s’autoriser des choses nouvelles, pour soi. Et chacun·e peut aussi apprendre en observant ce qui se passe dans le groupe. Avec les participant·es, nous nous émerveillons de la synchronocité des expériences, de l’apprentissage constant, sur tout ce qui nous est donné à vivre et à observer. Chaque session commence par un partage, et invariablement une personne, deux, trois… racontent comment une situation qui était problématique est maintenant devenue triviale. Tout n’est pas simple, bien sûr – une fois qu’on se rend compte des bâtons qu’on met dans ses propres roues, il n’y a plus d’excuse externe, plus de victimisation possible. Il s’agit de prendre le volant dans sa vie d’adulte, d’être « directeur·ice de sa propre vie ». Cela est à la fois jouissif et vertigineux.
« Qu’est-ce que tu veux, vraiment, pour toi ? » Cette question, que nous répétons à l’infini, sous toutes les déclinaisons, vaut pour nous comme pour les participant·es. Que veux-tu, pour toi, vraiment, maintenant ? Et maintenant ? Et maintenant ? Et la voix monte dans la tête. Je veux. Sans même forcément savoir ce qui va monter ensuite. Le pouvoir, la liberté que l’on ressent à dire, entendre ces deux mots. Je. Veux. Cette approche développée par Virginia Satir, c’est une approche pour s’observer, s’écouter, se comprendre : s’observer vouloir, s’écouter vouloir. Apprendre à entendre l’appel, à l’écouter et à l’accueillir – aussi fragile soit-il. Chacun·e parle de ce qu’ille veut vraiment et, ce faisant, apporte dans le groupe ce qui est important pour lui/elle. Au fil des sessions, nous voyons les participant·es changer, s’épanouir. Les visages sont de plus en plus lumineux, les postures plus droites, plus incisives. Nous voyons les étoiles briller dans leurs yeux, qui traduisent cette expérience de s’accueillir complètement, soi, les autres, le monde, dans une totalité, pas seulement le petit bout que j’ai envie de voir, qui me plaît ou qui me déplaît, qui colle avec le rôle que les autres m’ont assigné, avec le rôle que je m’assigne – cette expérience de se voir soi et les autres comme des êtres entièrement humains, et de célébrer une rencontre profonde, authentique, loin des codes et des modes et des us et des coutumes, une rencontre intemporelle.
C’est l’histoire d’une formation qui n’en est pas une, d’un atelier, deux, trois, dix… d’autant de groupes qui se sont épanouis. De nouveaux ateliers qui vont avoir lieu, aussi. De nouveaux groupes qui vont embarquer. Pour apprendre, une fois encore, que le présent leur est donné à inventer à chaque instant.